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  • didier maufras

Grand Paris, en revenant de l'expo...



Un sujet passionnant... mais terriblement parisien, une exposition décevante à la Cité de l'Architecture, mal foutue, illisible... qui ne rend pas justice à certaines contributions riches, inventives, réfléchies, et parfois portées par un casting impressionnant de contributeurs résumés pour le plus grand public à quelques têtes d'affiche.


Finalement un débat très parisien, car ces têtes d'affiche voudraient pour la plupart appliquer leur savoir faire acquis à l'international sur ce vaste territoire de la banlieue qu'un consensus opportuniste promet à la densification (70% du foncier y est dévolu à des zones pavillonnaires, et de nombreux délaissés et friches attendent d'être investies par une programmation).

Un débat très parisien que cette exposition des travaux des dix équipes, précédées par des panneaux officiels résumant la synthèse qu'en a fait le gouvernement à une simple carte des futurs transports publics qui seront financés, rend à mes yeux totalement archaïque.

Archaïsme

Archaïque,

car si les questions posées par l'organisateur et les analyses fournies par les concurrents sont souvent pertinentes, les réponses ressemblent trop à un acte de contrition collectif: réparons ensemble ce que vingt années de planification étatique, suivies par vingt cinq années d'application débridée de la compétence décentralisée en matière d'urbanisme ont déglingué. Cette dernière période ayant logiquement montré ses limites en termes de financement de réseaux de transport adaptés et performants, l'Etat recycle de vieilles recettes de maillage volontariste des réseaux pour relier ce qui a été construit - alors qu'il y a quarante cinq ans ils étaient les vecteurs d'une politique ambitieuse de polycentrisme urbain -. Je crains surtout qu'ils ne procèdent que d'une vision opportuniste de la ville en procurant des grands travaux à une économie anémiée.

Archaïque,

car si réparer la banlieue parisienne est une nécessité sociale, et se fera donc par crainte de nouvelles émeutes – moins rapidement , et sans doute moins harmonieusement – avec des acteurs et des financements locaux, cet horizon est indigne d'une véritable politique sur la place de la France dans le monde, et d'abord en Europe: la projection d'un énième transport circulaire en très grande banlieue reliant les terminus des RER existants reste dans la logique du radio-concentrisme pourtant unanimement condamné. Surtout l'investissement public - toujours plus exponentiel puisque le développement des transports alimente l'inflation du prix du foncier qu'il exproprie dans un deuxième temps – a pour seule justification la compétition entre grandes métropoles européennes!

où est l'idéal européen?

Archaïque donc,

car la construction européenne a moins besoin d'un Paris hypertrophié, creusant l'écart avec les autres métropoles provinciales en cannibalisant les fonds publics, que d'une démonstration du génie français dans l'imagination de villes du XXIème siècle. Ce territoire d'expérimentation existe, y compris dans la réflexion de nos partenaires européens: c'est l'Arc Atlantique qui va de Santander à Rotterdam, et intéresse au moins trois villes BORDEAUX, NANTES et LE HAVRE qu'un investissement public majeur pourrait faire décoller parce qu'elles sont des ports, parce qu'elles bénéficient d'un arrière pays riche et agréable à vivre, et que les projections climatiques favoriseront par l'ouverture de l'océan balte de nouvelles voies commerciales.

où est la génération des trentenaires ?

Archaïque enfin;

car il est paradoxal d'interroger une génération d'architectes sur un futur qu'ils ne connaîtront pas - et leurs propositions illustrées ressemblent souvent à des actes manqués ou des projets avortés - . Il est en tout cas significatif à mes yeux que la seule équipe dont le discours apparaît clairement en décalage avec la réflexion du gouvernement soit également la plus jeune (l'AUC, Djamel Klouche). C'est en tout cas la seule à ne pas sombrer dans un discours néo-technocratique, à me parler du Canada, de la voiture électrique, et à aborder la question du transport et de ses modes sous l'angle esthétique du plaisir de voyager. Les propositions faites d'étendre et de densifier la toile d'araignée des réseaux existants fait surtout l'économie d'une véritable remise en cause des moyens de transport et de notre comportement vis-à-vis d'eux. Nous n'échapperons pas à une véritable révolution dans ce domaine, et nous avons tort de ne pas préparer les esprits à l'affronter. Pour travailler sur ces territoires de la banlieue depuis 2001, je suis frappé de diagnostiquer systématiquement combien les infrastructures routières et ferroviaires divisent, découpent, abîment dans leur échelle de proximité les quartiers qu'ils relient. La banlieue est scarifiée par des routes nationales et départementales, des voies rapides et leurs bretelles d’accès, héritées d'une pensée d'ingénieurs des D.D.E. obnubilée par des critères de fluidité d'un trafic automobile calibré à des vitesses aujourd'hui incorrectes. L'absence d'urbanité se constate d'abord là, dans une voirie qui accueille et parfois suscite les incivilités les plus dangereuses. La quête d'une urbanité suppose de repenser ces lieux du transport, et les modes de déplacement. L'urbanisme du futur suppose l'usage exclusif de voitures individuelles, de camionnettes de livraison, de véhicules de transport collectif , tous de taille nettement réduite et à mode de propulsion sans gaz ni bruits. C'est indispensable pour pacifier et embellir définitivement ces lieux qui structurent la ville, et qui en sont aujourd'hui les cicatrices les plus vives.

la mémoire courte de nos politiques

Je relis le constat exprimé par la DATAR en 1993 dans un fascicule intitulé "Débat National pour l'Aménagement du Territoire - document introductif" D.F. 53032.8. Morceaux choisis:

pages 14 et 15:

l'évolution du continent européen aggrave les risques de déséquilibre et de dislocation de la France. Des forces centrifuges s'exercent en effet sur nos régions et nos villes frontières qui sont mal préparées à une compétition économique dont elles étaient auparavant protégées. Simultanément, les flux de transports et les activités convergent vers l'intérieur du continent et nous marginalisent progressivement... Si rien n'est cette évolution pourrait se concentrer sur une dorsale continentale qui de Londres à Milan contournerait la France sans jamais la pénétrer. Les régions atlantiques se trouveraient alors à l'écart des grands courants de développement. page 25, sur le manque de cohérence de l'Etat:

... les schémas, cartes ou zonages qui contribuent à façonner l'avenir de notre pays restent trop rarement soumis à la consultation préalable des élus nationaux. L'action essentiellement politique que constitue par nature l'acte d'aménagement reste souvent le fruit de décisions techniques... pages 39 et 40:

Tous les titres de paragraphes sont explicites:

Corriger les déséquilibres entre régions,

Réduire la fracture qui sépare notre territoire en deux,

Rompre la concentration autour de la capitale: toute politique d'aménagement du territoire suppose donc la fixation d'un développement limité pour la région Ile de France,,...et de retrouver une armature urbaine plus dense

C'est peu dire que seize ans plus tard le débat sur le Grand Paris lancé par Nicolas Sarkozy (en 1993 il était ministre et porte parole du gouvernement Balladur qui avait dressé ce constat) est inadapté aux enjeux de l'aménagement de la France dans la perspective de la poursuite de la construction européenne.


Il est définitivement archaïque.


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