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  • didier maufras

la main de Thierry Henry ou comment expliquer Nietzsche à un jeune footballeur


même si le buzz suscité par ce fait de jeu paraît aussi outrancier qu’est scandaleuse la tricherie sans doute volontaire du joueur, il restera révélateur sur plusieurs plans de beaucoup d’hypocrisie ou de bêtise de la part de ceux qui s’expriment par obligation professionnelle dans les media.

  • Sur le plan technique :


"l’arbitrage vidéo aurait évité un tel scandale"

comme rien ne s’y oppose techniquement, je conjecture qu’il dérangerait d’énormes intérêts financiers.

Le football professionnel est devenu un spectacle qui met en jeu toute une économie à laquelle son introduction ferait ombre. En effet la télévision qui génère les principales recettes de ces différents événements n’y voit aucun avantage car elle a déjà institué son propre système d’arbitrage à base de ralentis, de palette graphique, de réactions de consultants, etc.

Il est beaucoup plus rentable pour elle que ce soit le téléspectateur qui dispose des moyens techniques pour juger l’action … et l’arbitre car cette dramaturgie et les frustrations des supporters qui la nourrissent, sont fondatrices de l’économie des marchés dérivés de ce sport.

L’arbitre doit rester impliqué dans le jeu, et tant mieux s’il l’influence parfois de manière négative, car l’injustice augmente le ressort dramatique du spectacle dont il faut sans cesse renouveler l’intérêt.

D’autres considérations techniques secondaires font qu’une action de but en football est plus complexe à juger que dans d’autres sports où l’arbitrage vidéo a été introduit, car en football un but peut être quasi accordé avec une faute valant penalty. Or la surveillance assistée de la surface de réparation non seulement provoquerait de trop nombreuses interruptions de jeu pour permettre le visionnage, mais en plus révélerait trop de fautes punissables.

En rugby, l’arbitrage vidéo est réservé à la simple constatation du bon contact du ballon dans la zone d’en but, et au tennis à la vérification de la zone touchée par la balle.

  • Sur le plan sociologique :

"le joueur aurait dû avouer sa faute de main à l’arbitre, qui aurait pu ainsi annuler le but avant la poursuite du jeu"

Si sur le plan sportif, au sens amateur et donc le plus noble, cela paraît évident, cela eût été à mes yeux un contresens dans le cas de ce joueur professionnel qui pratique un sport collectif.

Si Thierry Henry s’était dénoncé à l’arbitre (ce qu’il a fait à la fin du match…), il aurait commis une faute professionnelle. Est ce que Jacques Glassmann a été récompensé d’avoir dénoncé le trucage du match OM-Valenciennes en 1993 ? Tout au contraire il est devenu un paria dans son ancien milieu professionnel.

Il est inadéquat de comparer trois icônes du sport comme Thierry Henry, Tiger Woods et Roger Federer, icônes désignées par le marché publicitaire, pour stigmatiser le comportement de ce joueur en se référant à celui supposé qu’auraient eu les deux derniers. Ces trois sportifs ont en effet été récemment choisis par la publicité comme représentatifs de leurs sports respectifs car véhiculant des valeurs humaines susceptibles d’identification par le public visé.

Certes on peut reconnaître à Tiger Woods et Roger Federer un statut iconique et réduire dans un message publicitaire leur sport à leur seule image, puisque un système de classement propre aux sports individuels leur assure un statut incontestable.

Pourtant l’exemplarité de leur comportement ne me semble pas un critère valable dans la mesure où les situations où elle pourrait être mise en défaut ne sont pas comparables (pas de possibilité de mise en péril de leur intégrité physique, pas d’hystérie collective et de pressions psychologique d’une équipe autour d’eux sauf peut être en Ryder Cup ou en coupe Davis, …).

Par ailleurs les occasions de tricherie sont quasi nulles, et par ailleurs trop risquées car punissables a posteriori, sur dénonciation éventuelle d’un spectateur dans le cas du golf.

Thierry Henry ne pouvait donc faire passer la sauvegarde de son honnêteté intellectuelle et sa morale individuelle, aujourd’hui largement entachées d’une légitime suspicion, avant celle des intérêts financiers des « employeurs » de l’équipe de France, dont il était en outre le capitaine.

Le cynisme dont il a fait preuve selon moi, et qui risque peut être de ruiner sa fin de carrière, est pour autant moins scandaleux que les manifestations de joie du staff technique qui donnait l’image de gagnants du Loto, et les déclarations hypocrites des hommes politiques qui cachaient leur lâche soulagement de l’issue de ces jeux du cirque modernes derrière des improvisations de circonstance. Sans le sang versé de la victime expiatoire (qui se soucie de l’Eire dans le foot business ?) le spectacle eût été moins exploitable.

L’absence de morale sportive du football est bien le paradigme d’une société gangrenée par la recherche à tout prix du profit, qui s’accompagne d’un renoncement planifié à sauvegarder avec des moyens techniques modernes l’application de règles « chevaleresques » issues du monde amateur.

L’absence de sursaut salvateur de la part des dirigeants politiques dans ce fait divers fait le lit d’autres violences, plus physiques que psychologiques, qui légitimeront une répression aveugle. L’absence d’éducation se paie toujours sur le long terme.

  • Sur le plan philosophique:

Puisque le geste de Thierry Henry est inexcusable sur le plan de la morale et du civisme, comment peut-on en tirer néanmoins un bénéfice plus présentable ?

A mes yeux par ce qu’il est justement une icône, et que la chute probable d’une icône peut être utilisée par des éducateurs comme source de réflexion philosophique.

Le jour du match, Thierry Henry était un héros nietzschéen, imposant l’amoralité du fort aux faibles irlandais, comme Zinedine Zidane avait quitté la scène en terrassant plus grand que lui en finale de la coupe du monde 2006, tout en précipitant la défaite de l’équipe de France. Leur iconoclastie leur assurera au moins une place à part dans le panthéon sportif.

La comparaison s’arrête là, car ce n’est que du football, mais il sera intéressant de suivre la destinée de cette équipe en Afrique du Sud.

Si elle fait un parcours brillant, alors les professeurs de philosophie auront un excellent thème d’actualité pour aborder la question du nihilisme

Si son parcours est nul, elle n’aura que retardé l’échéance de vérité où ceux qui l’auront soutenu en fonction d’intérêts médiocres seront associés à son naufrage moral.


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