top of page
Rechercher
  • didier maufras

danse avec les loups autour de l’île Séguin


vue depuis le bas Meudon en 1933

Ou un débat peut en cacher un autre.

Organisé par l’IFA, à la Cinémathèque de Chaillot (1), le débat entre les partisans d’une démolition des bâtiments industriels de l’île Seguin, prévue par le plan programme imaginé par Bruno Fortier, et les partisans de leur conservation-mutation, que l’article de Jean Nouvel, présent, a soudainement sortis de leur torpeur ou de leur résignation suscitée par l’adoption de ce plan programme, a vite tourné au psychodrame entre architectes empêtrés dans leurs propres contradictions.

Roland Castro, en professionnel de ces séances soit disant curatives, n’a pas eu de mal à relever qu’il était difficile pour un architecte, sur un tel sujet, de prétendre défendre un point de vue éthique et désintéressé sans être porteur simultanément, inconsciemment ou de façon opportuniste, d’un message sur la forme. Et en architecture la réflexion sur la forme en général n’est jamais très éloignée du plaidoyer pour un projet en particulier.

Certes les architectes qui sont intervenus – l’IFA s’est engagé à en publier les annales – sont suffisamment expérimentés et ont manié le verbe avec suffisamment de brio pour ne pas tomber explicitement vis à vis de leur confrères dans le piège de cette contradiction. Mais à vrai dire je ne suis pas persuadé que les non professionnels présents – du syndicaliste Renault au conseiller municipal d’opposition de Boulogne en passant par le militant d’une association écologique – aient su déchiffrer le langage socio-symbolique de Paul Chemetov, l’ambiguïté de la position situationniste de Nouvel, ou l’enjeu caché de déstabilisation de Bruno Fortier que je pense avoir été développé par les organisateurs d’un tel débat.

Car à prendre à témoin le grand public pour améliorer un plan programme jugé trop fade pour l’île Seguin, je crains que l’intelligentsia architecturale présente, qui rejette sans doute Bruno Fortier de son sérail d’architectes en vue – qu’est ce qu’il a donc construit ce Bruno Fortier ? -, ne rende un très mauvais service tant à l’architecture, à la recherche d’un second souffle, qu’aux architectes, en quête de rédemption ou de première commande, en réveillant dans le grand public un sentiment anti-grand projet, et par suite dans l’esprit de la maîtrise d’ouvrage publique et privée un réflexe de peur vis à vis de l’électeur ou du client et de choix du compromis.

Citroën-Cévennes, Seine Rive Gauche en sont pourtant des démonstrations suffisamment récentes pour ne pas susciter l’amnésie de grands témoins qui sont censés tirer toute une profession vers le haut et ne pas sacraliser ce qu’ils ont eux mêmes dénoncé pour asseoir leur propre notoriété : à savoir le conformisme, la frilosité et les refus de l’expérimentation.

A trop vouloir prouver que la modernité à la mode du XXI° siècle est subitement et sans transition aucune devenue la célébration d’une mémoire sociale, l’expiation des drames du XX° siècle, et la sanctuarisation des lieux qui les ont symbolisés, que cette modernité se réduit dorénavant à une seule pratique micro chirurgicale et non traumatisante pour ses riverains, je crains que ces grands témoins ne donnent involontairement à leur épigones comme à leurs mandants mille occasions de compromis insipides sur nos territoires urbains qui ont concentré aujourd’hui et au delà du raisonnable toutes les activités sociétales.

Le seul mérite d’un tel débat et pour cela nul n’est besoin de le prolonger, est de réclamer un programme ambitieux, voire exemplaire, si possible consensuel, pour l’occupation future de l’île Seguin.

Car de la même manière qu’il eût été criminel de remplacer le Centre Américain du boulevard Raspail, une pure merveille elle aussi anachronique pour ses riverains comme pour ses usagers, par un programme privé et à l’architecture passable – ce qui a été heureusement évité -, de la même manière il faut favoriser l’émergence d’architectures fortes mais unifiées à travers plusieurs programmes en résonance sur l’ensemble de l’île.

C’est faire injure à Bruno Fortier que de supposer qu’il ait imaginé un seul instant régler l’avenir de l’île Seguin à travers un simple zoning d’urbanisme.

Unitaire est cette île, singulière est son occupation, unitaire doit être l’architecture des futures constructions en dépit d’une affectation qui sera forcément multiple.

C’est moins Bruno Fortier qu’il faut convaincre de cette évidence, qu’il partage depuis le début mais dont la réalisation lui apparaît semée d’embûches, que les maires et leurs électeurs des communes traversées par cette boucle de la Seine.

Pour atteindre ce but faudra-t-il aller jusqu’à l’affrontement entre les fans de l’AMIS (2) et les sympathisants des A.B.F. (3)?

DM, 01/02/2007

  • (1) le 23 avril en présence d’une sélection de tous les architectes français (les autres tels Piano, Rogers étaient absents) qui ont réfléchi sur ce site depuis 20 ans mais en l’absence des maires de Boulogne et Meudon qui s’étaient excusés.

  • (2) AMIS : Association pour la Mutation de l’île Seguin, créée par Jean Nouvel.

  • (3) A.B.F. : les Amis de Bruno Fortier, association non encore créée à ce jour.



bottom of page