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  • didier maufras

pour une (dé)réglementation intelligente



Face au problème de la construction d’un logement pour des populations à solvabilité minimale, la tentation est grande de s’abstraire au maximum du champ des règles de construction qui s’appliquent aujourd’hui au logement social. Le critère du coût de la construction est en effet incontournable, et parallèlement depuis trente ans les performances exigées en matière d’isolations acoustique et thermique, d’aération ont augmenté, entraînant le renchérissement du logement (coût des études, des équipements, des transformations et de la maintenance).

Je doute que le logement "aidé" remplisse encore aujourd’hui son rôle social, celui d’offrir un lieu de vie aux plus démunis, quand par l’application de règles économiques, il n’autorise plus ses gestionnaires à remplir cette mission.

En plus des questions liées à sa fabrication, le logement social doit pouvoir retrouver sa place au cœur des villes.

Le phénomène d’exclusion est avant tout d’ordre géographique, la qualité du logement ne pouvant pallier une mauvaise desserte, dans un environnement périurbain où l’argent public ne s’est pas investi.

La perception du logement par ses habitants n’a bien souvent qu’un aspect amplificateur et rarement réducteur des frustrations engendrées par le rejet social. La réussite de l’insertion impliquant un investissement de la collectivité dans la qualité de l’environnement, il serait également dangereux de réfléchir à des types de construction ne pouvant supporter un minimum de charge foncière.

La voie est donc étroite. Elle interdit de se contenter de repartir en arrière en déréglementant de façon sélective pour trouver des solutions économiques. Elle impose au contraire une remise à plat de la réglementation dans une mise en perspective générale du logement.

Il faut repartir, non pas de zéro, mais au minimum de la réglementation d’avant 1969, pour apprécier la pertinence actuelle de trente années de réglementation technique.

Une analyse critique de celles-ci doit permettre de dégager des modifications, voire des remises en cause qui devront intéresser in fine l’ensemble du secteur logement. Pour le logement social l’ambition reste de concevoir des logements, certes expérimentaux et avec des matériaux économiques, mais dont la valeur intrinsèque puisse se retrouver dans une offre et sous une forme différente, car cadrant avec les préoccupations de notre époque.

Ils ne seront sans doute pertinents que le temps d’une génération ou d’un cycle social, et il est indispensable en conséquence d’accompagner le projet de propositions de recyclabilité ou de durabilité limitée des matériaux de construction, de changement d’affectation possible de leur statut juridique basé sur le bail à construction.

Quel regard peut-on porter aujourd’hui sur la réglementation technique ?

Il convient évidemment d’interroger ses rédacteurs et ceux qui l’appliquent pour qu’ils nous fassent profiter de leur propre regard. Mais il est possible de faire trois observations de bon sens :

Première observation

La réglementation entretient une logique technocratique. Elle s’appuie en effet sur elle-même pour évoluer, dans un sens majoritairement performantiel et solitaire.

La réglementation thermique poursuit l’objectif d’un habitat à déperdition énergétique nulle, comme la réglementation acoustique poursuit celui d’un habitat à isolement total vis-à-vis de l’environnement, celui extérieur à l’immeuble, celui des logements entre eux, et même des membres d’une même famille entre eux.

Ces deux logiques du cocon sensoriel dans le logement se heurtent en permanence à celle de son aération, aiguisant la recherche des ingénieurs contraints de mettre au point des équipements de ventilation assistée tellement sophistiqués que l’occupant n’a plus le droit de les manipuler.

La réglementation sur l’accessibilité des handicapés physiques, dont la légitimité sociale ne peut être contestée, impose au logement une logique ergonomique, une logique de confort d’utilisation qui est souvent la source même de l’architecture: assurer le confort des déplacements par des cheminements aux revêtements et à la géométrie adaptés, dans une ambiance lumineuse convenable. Cette logique requalifie l’espace public.

Mais quand elle impose les mêmes concepts déambulatoires à l’ensemble des logements, elle court le risque d’une incompréhension de la majorité des utilisateurs valides car elle interfère de manière inconciliable avec la liberté individuelle, avec la réglementation sur les surfaces de référence, et avec la culture spatiale du logement que nous livre l’histoire de l’architecture. En banalisant la typologie, elle réduit la diversité de l’offre en matière de logements.

Deuxième observation

La réglementation technique est d’application lourde; la lenteur de sa mise au point s’accroît au fur et à mesure de sa complexification car elle intéresse des champs économiques de plus en plus vastes et interdépendants.

Elle entretient ainsi le risque d’un décalage de plus en plus grand avec les préoccupations des gens dont les modes de vie évoluent plus rapidement: que ce soit sur l’emploi, sur la structure familiale, la durée de regroupement des enfants, ou des proches parents, la mobilité géographique, les certitudes évoluent de plus en plus rapidement et la réponse unique, valable sur une longue période de vie, n’existe plus.

Il faut pour s’en convaincre relire le décret sur la détermination de la surface corrigée. Ce texte est marqué par la prise en compte de critères hygiénistes, assortis de paramètres subjectifs sur la qualité des vues ("sur un parc, sur une large rue, sur une cour très étroite" …) ou les sujétions de l’environnement ( "offrant des avantages notoires sans inconvénients appréciables, offrant ni inconvénients ni avantages notoires, s’ouvrant sur une cour fermée non plantée d’arbres…" ) qui traduisent en les pervertissant les réflexions des urbanistes des CIAM. Toutes réflexions qui serviront de caution à l’édification des Z.U.P. de la reconstruction, aujourd’hui parfois qualifiées d’architecture criminogène par certains responsables politiques.

Il faut se souvenir du choc pétrolier de 1974, ses effets négatifs sur l’économie et l’emploi, sur la foi partagée dans le progrès technique et ses implications sociales pour mesurer vingt cinq après la faiblesse de la réflexion sur les économies d’énergie: qu’en est-il des millions de TEP économisées censées sauver la croissance et préserver l’emploi au regard des effets réducteurs sur l’architecture :

  • les meurtrières en guise de fenêtres, les matériaux de synthèse (PVC, polystyrène) – non recyclables et produits dérivés du pétrole ! – remplaçant les menuiseries en bois et les doubles parois.

  • l’épaississement des bâtiments au profit d’une diminution du ratio surface du contenant/volume du contenu, réponse obligée à la contrainte thermique, qui a relégué en position centrale les pièces humides du logement les privant d’un éclairage et surtout d’une ventilation naturels.

Ne faut-il pas repartir de la situation d’avant l’époque moderne qui a provoqué le discours hygiéniste et réglementariste pour évaluer la qualité de la typologie de ses logements (Haussmann à Paris) à la lumière de nos matériaux modernes de construction ?

Ne faut-il pas substituer, au diktat de la surface corrigée et des classifications par nombre de pièces qui fondent le financement du logement, une analyse sur des notions à la logique plus floue de performance globale, de volume exploitable, d’annexes du logement partageables en communauté réduite.

Troisième observation

La réglementation ignore le mode de vie des habitants dans leur diversité sociale et culturelle.

Le discours hygiéniste s’est constitué en réaction aussi bien contre l’habitat jugé insalubre des faubourgs parisiens que des véritables taudis occupés par la classe ouvrière. Peut-on dire aujourd’hui que ces populations y vivent piégées sans espoir d’évasion au cours de leur vie entière comme il y a un siècle.

N’est-il pas plus important aujourd’hui pour beaucoup d’accéder à un quartier de ville bien desservi qu’à un logement bénéficiant de tout le confort d’une vue dégagée ?

Vers où se dirige aujourd’hui la réglementation acoustique quand elle classifie les bruits de l’environnement et des équipements collectifs comme une gêne systématique favorisant de ce fait la perception des autres sources de bruits intérieurs à l’immeuble, voisins ou occupants d’un même logement ?

Cette logique d’isolement vis à vis de l’environnement implique donc le renforcement toujours plus grand des parois séparatives d’avec ses voisins, le moindre défaut devenant insupportable, au détriment d’une autre logique qui n’exclurait pas le dialogue au niveau de la communauté réduite d’un immeuble. Ce n’est pas là un propos néo-baba cool, la plupart des classes sociales d’Europe et d’Amérique du Nord le vivent quotidiennement dans leur habitat.

Cette logique banalise radicalement la typologie des logements les soumettant au diktat de la séparation nuit-jour que seule une vision passéiste de parents assoiffés de mondanités peut encore justifier: faut-il sacraliser le séjour et le coin-repas quand la vie des enfants s’organise entre le réfrigérateur et la télévision, que les habitudes alimentaires prises par l’ensemble de la famille minimisent le temps de préparation du repas et son ingestion ?

En quoi la réglementation acoustique prend en compte la réalité de l’enfant qui dès le début de son adolescence utilise un appareil de reproduction sonore et une télévision, et celle de parents appelés à travailler le soir à leur domicile ?

La réglementation thermique et les normes d’aération ne sont-elles pas conçues pour des êtres de laboratoire ne s’écartant jamais d’une vie régulière d’où serait bannie toute manifestation fortement exothermique ou inversement incapable de se couvrir en fonction des circonstances ?

Comment expliquer alors le succès du chauffage électrique direct, qui est pourtant le moins performant au regard des objectifs poursuivis, sinon que les gens en ont plébiscité la rapidité d’adaptation aux besoins ?

Ces trois observations justifient à mes yeux un constat alarmant de l’évolution du logement social, et donc de l’ensemble des logements, car le premier est le laboratoire qui valide tous les autres développements, constat qu’aucune nouvelle annonce ne semble vouloir démentir (cf L.Q.C.M.).


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