L'approche statistique, globalisante et réductrice, semble devenir le paradigme de toute réflexion sur la politique de la construction, de l’État comme des collectivités locales. Car cette approche semble ignorer les aspects culturels, philosophiques et artistiques qui prévalaient encore au début du mouvement moderne en architecture, il y a déjà près d'un siècle !
Ce mouvement moderne du XX° siècle a enrichi le patrimoine bâti de nos cités, et je crains qu'après sa relève amorcée il y a cinquante ans, son évolution inéluctable au XXI°siècle n'obéisse qu'à deux marqueurs tyranniques : le bilan carbone et la consommation énergétique.
Le calcul de ces deux indicateurs de performance, réalisé à la conception des projets, mais qui par nature ne pourra être vérifié que dans trente ou cinquante ans, est pourtant le critère principal, voire unique, de justification de la politique qui se décline dans les PLU, la promulgation des aides à la construction, la définition des règles fiscales, politique qui se résume à arbitrer ce nouveau débat : "la rénovation versus la construction neuve".
Parce que ce débat est souvent tranché a priori, donc impossible, comme à Paris dans le nouveau PLU bioclimatique, est l'illustration parfaite du dogmatisme qui inspire la politique du logement.
Quelques exemples relatifs à la consommation énergétique
La loi Malraux (1962) jusqu'en 2009 a permis la sauvegarde et la mise en valeur d'un patrimoine bâti, dont la qualité architecturale n'est pas contestée, par l'intermédiaire d'une rénovation globale et bénéficiant d'une fiscalité avantageuse.
Aujourd'hui rénover un immeuble de bureaux ou d'activités en touchant aux structures ou aux façades pour y créer des appartements ne bénéficient pas d'une fiscalité avantageuse (taux de TVA réduit): selon le décret numéro 2008-1338 du 16 décembre 2008 relatif à la vente d'immeubles à rénover, remplacer son enveloppe extérieure 1(un mur rideau par exemple) à plus de 50 % de sa surface fait basculer l'opération dans la fiscalité de la construction neuve. Or si cette problématique ne se pose pas dans le retour à leur usage originel d'anciens immeubles d'habitation transformés en bureaux à la fin du siècle dernier, elle est incontournable pour tout le tertiaire bâti à cette époque qui ne peut changer d'affectation sans de lourds travaux, onéreux (de 10 % à 30 % plus cher que le neuf).
A Paris la démolition est quasi impossible, par dogmatisme, alors que tant le bilan carbone que la consommation d'énergie sur les trente années d'un projet neuf performant seraient compétitifs. En conséquence les exemples d'immeubles devenus résidentiels présentant des façades mornes, sans espaces extérieurs, se multiplient.
Autre aspect de cette architecture de la rénovation rarement évoqué: la prise de risques par la maîtrise d’œuvre sur la pérennité des structures existantes et de leurs fondations, puisque seule une part minoritaire de ces deux postes peut être prise en compte.
Enfin la rénovation des immeubles d'habitation est compliquée dans toutes les copropriétés du fait des investissements importants qu'une rénovation globale impliquerait. En 2015, Paris comptait 2 206 000 habitants et 1 139 000 résidences principales. Un tiers de ces résidences principales sont occupées par leur propriétaire. Un peu moins de 20 % des résidences principales sont des logements du parc social et la part des foncières propriétaires uniques d'immeubles résidentiels à loyer non réglementé ne cesse de décroître.
En conséquence la majorité du parc résidentiel parisien est détenu dans des copropriétés privées qui seraient au nombre de 47 000, et dont 90 % ont été construites avant 1974, date de la première réglementation thermique (dans Le Parisien Paris, édition du 24/10/2023).
Le Ministère de la Transition Énergétique agit dans le cadre de la loi Climat de résilience n°2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets : les copropriétés de plus de 15 ans ont l'obligation de faire établir un Projet de Plan Pluriannuel de Travaux (PPPT) échelonné sur 10 ans. Ce document a pour objectif de lister tous les travaux à prévoir dans la copropriété afin de les planifier et d'anticiper leur financement, tout en tenant compte du résultat de l'établissement du Diagnostic de Performance Énergétique (DPE).
Les copropriétés ont jusqu'au 1er janvier 2025 pour s'y conformer.
En parallèle le même ministère a lancé une enquête (par tirage au sort) auprès des habitants, dont j'ai été récemment l'heureux destinataire bien que je ne sois que locataire d'une foncière à paris 15°.
(Cette enquête fait suite aux objectifs de l'État, fixés dans la Stratégie Nationale Bas Carbone et le Plan de rénovation énergétique des bâtiments. Elle a pour objectif d'améliorer la connaissance sur:
• 1. La réalisation ou non de travaux de rénovation et le type de travaux réalisés;
• 2. L'utilisation ou non d'aides et d'accompagnement pour réaliser les travaux ;
• 3. Les objectifs de réalisation des travaux, et les gains en termes de réduction de la consommation et d'émissions de gaz à effet de serre;
• 4. Le cas échéant, les freins à la réalisation de travaux de rénovation énergétique.)
Le questionnaire auquel j'ai répondu ne permettait pas de spécifier les points précis qu'un DPE prévoit.
(Seuls éléments spécifiques du questionnaire : superficie de l'appartement, combien de fenêtres et porte-fenêtres, combien de murs de façades, type de chauffage, et numéro du point de service ENEDIS, compteur LINKY.)
Je crains que les résultats de cette enquête, qui seront disponibles dans un an, aboutissent à des tableaux statistiques très généralistes, agrégeant des cas disparates, et sans grande utilité pour éclairer l'action publique.
( Un exemple caractéristique des contraintes réglementaires imposées aux copropriétés parisiennes : la fréquence de ravalement de façade obligatoire à Paris est d’une fois tous les 10 ans. CE N'EST TRÈS MAJORITAIREMENT PAS RESPECTE.)
L'ambition affichée par l'exécutif parisien de rénover énergétiquement ) l'ensemble des copropriétés d'ici 2050 suppose un rythme de 40 000 logements par an à partir de maintenant. (Le Plan Climat de la Ville de Paris a démarré en 2007. A lire ici)
Or pour toute la période 2016-2020, ce ne sont que 33 000 logements qui ont été rénovés, dont plus des deux tiers appartiennent au domaine de l'habitat social, où la Ville peut agir de façon très volontaire.
Cette ambition est donc tout-à-fait irréaliste si d'autres leviers de financement que celui de la Ville de Paris (une enveloppe de 58 M€ jusqu'en 2050) ne sont pas trouvés. Celle-ci reconnaît d'ailleurs que le bilan énergétique global du bâti parisien de l’année 2020 ne marque toutefois qu’un recul de 13% par rapport à 2004, n’atteignant pas l’objectif fixé par le Plan Climat (-25%). La sobriété énergétique reste le défi majeur du territoire parisien.
sur l'indicateur "bilan carbone" :
Un ingénieur polytechnicien, Jean-Marc JANCOVICI, invente en 2004, dans le cadre de son emploi à l'ADEME cet indicateur qui à l'origine est un ensemble de méthodes permettant de mesurer et de suivre la quantité de gaz à effet de serre (GES) qu'une organisation (entreprise, administration publique...) émet du fait de son activité.
Par extension, un bilan carbone peut être calculé pour évaluer les impacts en émission de GES de la fabrication d’un produit, d'un territoire, d’un individu, d’un projet, d’un événement ou d’une filière industrielle.
Cet indicateur a aujourd'hui un tel succès qu'il s'applique à tous les domaines de l’activité humaine. Dans celui de l'aménagement urbain et de l'architecture son application en vient à rendre secondaires les autres critères d'appréciation qualitative. Ainsi il est paradoxal de constater qu'il néglige l'impact d'un projet sur son environnement immédiat -ce qui est fondamental en site urbain-, car il n'a pas été conçu à l'origine pour cela. Et que ce soit dans l'espace rural ou dans le tissu dense des villes, l'évaluation performantielle du bilan carbone d'un projet ne peut en aucune façon servir de seule justification.
D'autant plus que le calcul de ce bilan, dans le cadre de la RE 2020, n'est pas exempt de failles.
Dans un article récent consacré à l'évaluation de maisons individuelles (Magazine d'A de septembre 2023) construites avec des matériaux naturels, un mémoire de fins d'étude de l'ENSA de Versailles expliquent qu'en raison du manque de maturité des fiches FDES disponibles dans la base de données française, il est actuellement difficile d'affirmer que l'emploi de ces matériaux naturels résout à lui seul l'enjeu de décarbonation de la construction, même si la nouvelle méthode de calcul d' ACV dynamique de la RE2020, favorable aux matériaux biosourcés, optimisera encore les scores obtenus par les maisons en bois et en paille.
(La fiche de déclaration environnementale et sanitaire (FDES) est une déclaration établie sous la seule responsabilité des fabricants du produit et qui présente les résultats de l’Analyse de Cycle de Vie d’un produit ainsi que des informations sanitaires dans la perspective du calcul de la performance environnementale et sanitaire du bâtiment pour son éco-conception. FEDES et ACV sont des déclarations non certifiées. Le domaine du BTP est rempli de ces prophéties auto-réalisatrices sur les performances des produits industriels commercialisés.)
Les conclusions de cette étude suggèrent que la volonté de réduction des émissions du secteur ne peut pas se limiter à la simple substitution des matériaux conventionnels par des matériaux naturels et crus, mais nécessite sans doute une remise en question plus globale des modèles architecturaux et urbains actuels.
Cette critique sur l'absence de certification des fiches FDES et ACV indépendante des fournisseurs relativise encore plus la sincérité des objectifs proclamés de projets urbains d'envergure.
Et quand il s'agit d'écoquartiers, le psittacisme des élus à promouvoir cette appellation n'en est que plus suspecte quand il est récurrent dans toutes les communications lors de colloques ou de comités de quartiers. J'ai même entendu un conseiller en urbanisme de la mairie de Paris défendre un projet dans une ZAC, pourtant très critiqué car faisant fi de son environnement immédiat, au motif que c'était un projet formidable d'innovation parce qu'il mettait en œuvre des toilettes sèches collectant séparément l'urine. C'est là une dissonance cognitive révélatrice!
Sur la RE 2020
La France a le chic pour écrire les réglementations les plus contraignantes qui existent en Europe sur la production du logement. La dernière réglementation thermique datait de 2012, l'innovation consiste à intégrer un volet environnemental corrélé au bilan carbone lors de la construction ET lors de son cycle de vie (plus ou moins cinquante ans). Ce dernier point n'a été repris par aucun autre pays européen.
La complexité de cette réglementation requiert l'intervention d'un ingénieur capable de maîtriser les logiciels spécialisés qui détermineront la faisabilité du projet, sans que l'architecte ait une vue synthétique et prospective en amont de sa conception. De fait l'analyse que j'ai pu faire sur des permis délivrés récemment à Paris et respectant cette réglementation démontre un mimétisme certain. Mais peut-être est-il encore trop tôt pour que la créativité d'architectes plus inspirés vienne casser cette impression de bunkers aux vêtures biosourcées dessinés par les logiciels BIM.
Le logement a été la grande contribution du mouvement moderne à l'histoire de l'architecture. Elle l'a été par une démarche artistique et pluridisciplinaire, une prise de risque car elle bousculait les habitudes et avait l'ambition de concilier fonction et esthétique.
Le logement proposé aujourd'hui par la promotion immobilière ou les opérateurs sociaux, conforme à la RE2020, est sans imagination, mesquin, et ne supporte pas la comparaison avec un appartement haussmannien qui a prouvé sa résilience aux changements d'usage, ou un appartement des années 60 aux proportions généreuses et bénéficiant d'une coursive déroulée sur toute sa longueur, un brise-soleil efficace! quand bien même ces façades dont le premier plan à l'alignement montre un empilement de coursives identiques ont été souvent décriées.
Sur le seul aspect de la consommation énergétique, la RT 2012 était largement suffisante, car il y a un paradoxe évident à sur-isoler les logements alors qu'on prédit le climat de Séville aux parisiens en 2050 .
(Selon une étude réalisée pour la Mairie de Paris par le cabinet de conseil danois Ramboll et rendue publique mercredi 22 septembre 2021, la ville serait extrêmement menacée par les changements climatiques dans les années à venir. L’étude, reposant sur les données du Giec et de Météo France, montre que les vagues de chaleur devraient se multiplier. « À terme, le climat de Paris pourrait s’apparenter à celui de Séville », avertit Dan Lert, adjoint à la Mairie de Paris en charge de la transition écologique. pourrait connaître 22 jours où le thermomètre dépasse les 30 degrés C en 2050. Contre une moyenne de 14 jours par an aujourd’hui. Ces vagues de chaleur pourraient constituer un « risque sanitaire majeur », soulignent les auteurs. La canicule de 2003 avait par exemple provoqué une surmortalité estimée à 1 000 décès, uniquement à Paris.)
Pire, en rénovation, on isole par l'extérieur des immeubles en béton sans enlever leur isolation intérieure, empêchant de fait de profiter de l'inertie thermique des façades susceptible de contribuer à lutter contre les canicules estivales.
Sur l'aspect du bilan carbone, en raison de la durée de vie supposée du bâtiment, le calcul est encore plus complexe et les solutions à mettre en œuvre se heurtent à l'absence de prévisions à vingt, trente et cinquante ans sur le comportement de la plupart des matériaux actuels.
La probabilité que ce volet soit remis en cause plusieurs fois d'ici 2070 est totale.
Les causes possibles de remise en cause sont pourtant connues depuis le premier choc pétrolier il y a cinquante ans : d'une part les innovations techniques qui apparaissent rendent obsolètes les solutions mises en œuvre, d'autre part les politiques du logement sont versatiles car elles sont soumises à l'impatience à attendre leurs résultats et aux remises en cause budgétaires récurrentes. Pourquoi les cinquante années à venir d'observation de ces bilans carbone "RE 2020" se dérouleraient tranquillement ?
Pour l'heure le calcul est réalisé en fonction du cycle de vie connu des matériaux et équipements employés lors de la construction. Mais comme l'essentiel de l'empreinte carbone est lié aux phases de construction et de démolition, qui représentent entre 60 et 90 % de l'impact carbone total calculé sur une durée de cinquante ans, la phase démolition est plus que sujette à caution.
Aujourd'hui le ministère de la transition écologique estime qu'à l'horizon 2030, l'usage du bois et des matériaux biosourcés sera quasi systématique, y compris pour le gros œuvre dans les maisons individuelles et le petit habitat collectif. Dans la mesure où l'industrie du bois transformé est incapable en France de subvenir à un tel marché, il faudra importer de l'étranger, ce qui est très mauvais pour l'empreinte carbone.
(La France possède la troisième forêt européenne, aux trois quarts faite de feuillus, et 1100 scieries locales essentiellement calibrées pour la découpe des résineux. Elle importe majoritairement le bois de construction (charpentes, et surtout les planchers en lamellé-croisé) en provenance d'Allemagne, d'Autriche et des pays scandinaves. )
Quant aux grands immeubles de logements, il faudra convaincre en outre les services de sécurité incendie d'adopter des structures bois. En tout état de cause, les fondations, le rez-de-chaussée, les noyaux d’ascenseurs et d’escaliers demeureront en béton ou en acier protégé du feu et les façades devront être protégées de la pluie par un bardage de métal ou de terre cuite.
Bien évidemment l'architecture du logement ne saurait négliger de s'adapter aux changements climatiques qui sont avérés. Mais aujourd'hui je constate que la fonctionnalité des logements est en péril pour une autre raison, sous le prétexte fallacieux de l'adaptation aux modes de vie contemporains qui justifierait l'abandon des cuisines, des sas d'isolement entre le séjour, la porte d'entrée, les chambres et les sanitaires, et qui transforme le séjour en pièce à vivre et à cuisiner distribuant les autres locaux.
Quelle que soit la taille de l'appartement la promotion privée impose à l'architecte la suppression de la cuisine pouvant être fermée, et le linéaire des six emplacements est implanté sur un mur du séjour.
Pour un appartement de 4P et plus,créer une cuisine fermée imposera de perdre une chambre.
Pour les 2P et 3P, cette transformation est quasi illusoire même quand l'implantation des gaines le rendrait possible.
Faire la cuisine dans un séjour, loin d'une fenêtre, revient à diffuser des odeurs dans tout l'appartement car les hottes d'aspiration ne peuvent être reliées à la VMC.
On aboutit ainsi au paradoxe actuel de la diffusion de conseils "manger sain, manger local, cuisiner des légumes" confrontés à des dispositions de plans qui incitent à réchauffer des plats industriels cuisinés, surgelés.
Le séjour lui-même devient un lieu de passage, et il est difficile d'y trouver des zones de calme car par ailleurs tous les murs d'adossement comportent des accès en grand nombre.
Cette régression théorétique de l'architecture devrait pourtant inquiéter, car elle interroge la résilience future de ces logements à permettre leur transformation future. Les problématiques décrites ci-avant masquent l'analyse chère aux générations d'architectes qui ont connu les riches heures de la critique architecturale (du grec krinien, au sens premier « séparer le vrai du faux »).
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