Ce projet a été présenté en 2018 par la mairie de Paris avec les objectifs suivants:
1. améliorer l’expérience de visite, les usages pour les riverains, les Parisiens, le confort pour tous, du métro à la Tour
2. offrir un nouvel espace de promenade et de détente pour les Parisiens comme pour les visiteurs et redonner vie aux jardins du Trocadéro et du Champ de Mars;
3. diminuer les surfaces imperméables et asphaltées et donner plus de place aux piétons et au végétal.
Ces trois objectifs, a priori consensuels, sont en réalité antagonistes. Les deux premiers s'opposent depuis longtemps comme peut en témoigner l'exaspération des riverains confrontés à la foule continue des touristes qui rejoignent le site non seulement par le métro, mais aussi par cars. Quant au troisième il paraît être un nouvel exemple de la doctrine "verte" développée par la mairie de Paris depuis 2001 pour habiller la présentation d'une opération d'urbanisme lourde et onéreuse sous un aspect idyllique.
Présenter ce projet comme régénérateur de la tranquillité du site sous forme d'un très grand jardin de détente qui sera en fait envahi essentiellement par plus de touristes en déambulation ou agglutinés dans des files d'attente d'accès à la Tour est digne de l'insincérité du dépliant publicitaire d'un promoteur immobilier vantant son dernier programme.
La ville de Paris est confrontée à un phénomène d'affluence touristique qu’elle subit comme d'autres destinations mondiales et qui souvent désespère leurs habitants. Je pense à ceux de Venise. Mais Paris reste également une capitale économique, peuplée d'actifs dont les activités sont majoritairement moins ludiques. Et ce projet les nie totalement.
Puisque le premier objectif cité est d'améliorer l'expérience de visite, une solution intelligente eût été d'enterrer les espaces d'attente du public entre les quatre piliers afin de ne pas réitérer l'erreur commise au Louvre. Celui-ci se retrouverait ainsi à l'abri des regards comme des intempéries, comme savent si bien le faire les Américains, à Washington comme à Disneyland.
Plusieurs réponses du projet lauréat dénotent également une méconnaissance des enjeux urbanistiques d'une ville aussi complexe que Paris :
1. la transformation du terre-plein central de la place du Trocadéro en théâtre de verdure est une vue de l'esprit tellement ce type d'aménagement est par nature fragile. L'usage en sera vraisemblablement détourné et se soldera par un échec comme l'ont été d’autres initiatives du même genre: piétonisation de la place Stalingrad, de la place Louis-Armand à la gare de Lyon, etc...
2. Planter le pont d'Iéna : cette idée saugrenue n'a, à ma connaissance, pas d'exemple réalisé comparable. La ville n'est pas un catalogue de trouvailles d'aménagements dignes d'un parc d'attractions, mais au contraire son adaptation aux besoins contemporains doit tendre au respect d'un juste équilibre entre le végétal et le minéral sans les confondre en un même lieu. Les jardins et les squares parisiens sont d'autant plus précieux qu'ils sont autant d'îlots de verdure identifiés et protégés dans un continuum minéral, que seuls les arbres d'alignement des avenues peuvent prétendre parfois réunir. Le Palais du Trocadéro comme la Tour Eiffel sont des monuments dont les perspectives doivent simultanément être préservées sans être mitées par une hypertrophie du végétal.
3. Le Champ de Mars est un champ de foire, il n'a jamais été un jardin comme le sont le jardin du Luxembourg ou le jardin des Plantes. Ou alors il faut prendre la décision de le fermer la nuit et d'en redéfinir le statut. Lire que son aménagement se fera avec des couloirs de biodiversité enrichis d’essences végétales favorables au développement de la faune et de la flore révèle la confusion des genres et dévoile les arrières-pensées politiques de ce projet dont je nie totalement la justification.
Mais peut-être la présentation de ce projet n'est-elle destinée qu’à entretenir le buzz médiatique, comme un temps celle de l'aménagement de l'avenue Foch mêlant parc urbain et développement immobilier l'avait été.
Mise à jour de 2023:
Le site paris.fr évoque toujours ce projet dans sa version décrite ci dessus et mise à jour le 04/10/2022 ( https://www.paris.fr/pages/grand-site-tour-eiffel-un-poumon-vert-au-coeur-de-paris-6810/) avec un début des travaux mi-2022 et une fin après les JO 2024.
Il faut se rendre sur d'autres sites d'information pour découvrir que la cour d'appel, le 13 avril 2023, a donné raison à la Préfecture de Police qui contestait les mesures de restriction de la circulation, mesures qui sont l'épine dorsale de ce projet.
Même sans ce refus de la Préfecture de Police écartant la suppression de la circulation des véhicules de services et des bus au niveau de la place du Trocadéro, du pont d'Iéna et du quai Branly, le concept même de rambla qui inspirait le concours de mai 2018 entre la place de Varsovie et l’École Militaire était totalement contradictoire avec les travaux de sécurisation de la Tour Eiffel entamés en 2017: une barrière de verre et des grillages reproduisant la forme de la Dame de Fer protègent depuis la fin de l'année 2018 le monument parisien du risque terroriste.
Cet obstacle majeur à la circulation piétonne sur cet axe que représentent la sécurisation du parvis et de ses jardins attenants vide totalement de sens le projet des paysagistes Gufstason Porter et Bowan.
Le discours de la mairie prétendant créer 16724 m² d'espaces verts supplémentaires, soit une augmentation de 35 % sur les 22 hectares du projet (calcul absurde ou coquille typographique?), est incompréhensible, car concrètement les taches vertes créées se limitent à la pelouse de la place de Varsovie, aux bacs à plantations du pont d'Iéna et à la suppression de l'avenue Joseph Bouvard. Et le coût de ce projet était annoncé à 102 M€.
AVANT / APRÈS ?
Vue du projet illustrant la libre circulation des piétons et du végétal sous la tour Eiffel.
Cette vue est un déni de la réalité.
DM, 22/10/2021,
mis à jour 28/10/2023
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