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  • Didier Maufras

Notre-Dame de Paris, la tempête médiatique reprend-t-elle?


en décembre 2023 © Photo EBRA/RL/Philippe Marque

Le 17 décembre 2019, j'écrivais ceci sur la flèche de Notre-Dame :


Maintenant que les passions tristes ont trouvé un autre champ d'actualité médiatique pour se déverser, et que comme le dit joliment dans son dernier ouvrage Amin Maalouf (1) une opinion peut s'exprimer hors du champ émotionnel, champ clivant par nature, je ressens le besoin de dire avant le terme de l'année 2019 ce que je pense de la flèche de Notre Dame de Paris: Cette flèche disproportionnée est une horreur qui a enfin sombré dans les flammes.


Sans surprise, ceux qui la défendent sont au premier rang les gardiens du temple, qui en tirent à l'occasion leur gagne pain quotidien. Cela ne me choque pas et à leur crédit ils ont sauvé en d’autres circonstances des églises romanes qui font mon admiration, et il y a cinquante ans le quartier du Marais qui honore l'éclectisme parisien. Mais de là à prétendre reconstruire à l'identique cette flèche, c'est faire preuve d'une cuistrerie coupable à mes yeux.


Coupable, car Notre Dame a été épargnée des siècles durant de cet appendice cyranesque et prétentieux. Le génie de cette cathédrale est comme ses consœurs d'être un chef-d’œuvre sans architecte déclaré, le témoignage survivant d'une ferveur spirituelle dépassée, et surtout, à mes yeux d'agnostique, un vaisseau de pierre à la beauté inégalée en France, qui semble fendre en deux bras le cours de la Seine. Je ne connais pas de personne qui soit restée insensible à la vue de cette architecture depuis l'île Saint Louis, quand le soleil se couche et magnifie la prestance de sa silhouette. A rebours, qui a pu réellement apprécier ce gros trait noir qui raye alors la scène comme un poteau télégraphique vient gâcher la photo souvenir du touriste ?


Coupable encore, car aucune vérité historique (2) ne justifie sa reconstruction à l'identique. La flèche de Viollet-le-Duc n'a pas été endommagée par l'incendie. Celui-ci l'a volatilisée. L'agnostique que je suis ne saurait y voir le signe d'une justice divine, mais l'occasion est inespérée de réparer l'outrage perpétré au milieu du XIX° siècle.


Coupable enfin, car Viollet-le-Duc (3) qui est à la fois un théoricien et un acteur majeur de la conservation des monuments historiques au XIX° siècle n'a jamais été consensuel dans son œuvre. « Restaurer un édifice », écrit-il « ce n’est pas l’entretenir, le réparer ou le refaire, c’est le rétablir dans un état complet qui peut n’avoir jamais existé à un moment donné ».

Quand bien même sa démarche eût été justifiée il y a cent soixante-dix ans, nous sommes contraints à la confronter aujourd'hui à nos connaissances techniques, à nos mentalités, à nos problèmes de société, et à nos croyances. Dans ce faisceau de perspectives, la polémique sur la reconstruction à l'identique ou son remplacement par un signal contemporain apparaît dérisoire au regard de la sauvegarde de la structure même de l'édifice.

Cette cathédrale est un emblème parisien et républicain, son futur ne peut être décidé dans les cénacles et commissions de spécialistes des monuments historiques. Le montant atteint par les dons (900 millions d'euros) est en lui-même indécent. Qu'il puisse être intégralement dépensé jusque dans des reconstitutions serviles de la charpente et de la flèche détruites par l'incendie serait scandaleux. Qu'il puisse être pour partie consacré à la sauvegarde des structures et des fondations d'autres édifices religieux de province honorerait le ou les responsables d'une telle décision éminemment politique.


(1) Quand on ne peut plus exercer ses prérogatives de citoyen sans se référer à ses appartenances ethnies ou religieuses, c'est que la nation entière s'est engagée dans la voie de la barbarie. Tant qu'une personne appartenant à une minuscule communauté peut jouer un rôle à l'échelle du pays tout entier, cela signifie que la qualité d’être humain et de citoyen passe avant tout le reste. Quant cela devient impossible, c'est que l'idée de citoyenneté et aussi l'idée d'humanité, sont en panne. In : Le naufrage des civilisations (Grasset).


(2) La charte de Venise, adoptée en 1964, dans son article 11 ne tranche pas en réalité la question de la reconstitution de cette flèche. Cet article stipule: Les apports valables de toutes les époques à l'édification d'un monument doivent être respectés, l'unité de style n'étant pas un but à atteindre au cours d'une restauration. Lorsqu'un édifice comporte plusieurs états superposés, le dégagement d'un état sous-jacent ne se justifie qu'exceptionnellement et à condition que les éléments enlevés ne présentent que peu d'intérêt, que la composition mise au jour constitue un témoignage de haute valeur historique, archéologique ou esthétique, et que son état de conservation soit jugé suffisant. Le jugement sur la valeur des éléments en question et la décision sur les éliminations à opérer ne peuvent dépendre du seul auteur du projet. A mes yeux la formulation "apports valables" est volontairement ambigüe pour permettre de reconsidérer la valeur d'un apport.


(3) En 1840 alors qu'il n'a que vingt-six ans, on lui confie la restauration de Vézelay, chantier immense et périlleux de vingt années qui lui donne l'opportunité de développer cette théorie. En l’occurrence son intervention est admirable car il détruit trois voûtes gothiques de la nef pour redonner à celle-ci la forme romane primitive, et magnifier ainsi la complémentarité stylistique avec le chœur gothique édifié au XII°siècle. Mais son perfectionnisme entraîne aussi des dérives sous forme de rajouts -statuaires, ornements, flèches - que seules parfois les restrictions de budget permettent de contrecarrer. Cette propension à la surenchère formelle, signes d'une vision plus romantique que raisonnée de l'histoire de l'architecture qu'il professe, inspirera chez ses élèves et ses épigones de malencontreuses restaurations : un exemple est le site de Rocamadour, reconstruit au XIX°siècle sous la direction de l’abbé Chevalt, architecte élève de Viollet-le-Duc, selon les critères de la dénaturation historique propre à ce dernier, ajoutant tourelles et machicoulis aux joyaux de l'art roman pour faire "moderne". Vézelay pour Viollet-le-Duc est le tremplin vers son grand œuvre, la restauration de Notre-Dame de Paris qui était aussi délabrée. Ses interventions y sont considérables, mais la plus célèbre et qui fit l'objet d'une énorme polémique fut déjà de rétablir la flèche qui avait été démontée en 1786. L'histoire semble vouloir bégayer.



MISE à JOUR


Nous sommes en décembre 2023, quatre ans et demi après l'incendie, un an avant la réouverture de la cathédrale restaurée. La polémique ne reprend que sur les thèmes écologique et sanitaire de la pollution au plomb que représente la reconstruction à l'identique de la flèche. C'était inévitable.


Macron, en politicien néo-libéral pragmatique, a évacué tous les questionnements susceptibles de retarder le chantier en décrétant la restauration à l'identique, écartant toutes les réflexions légitimes que pose l'utilisation de matériaux et de techniques comme au milieu du XIX° siècle. La technologie contemporaine est censée, selon lui, pallier les risques écologiques, sanitaires dénoncés ces jours par les associations (4), d'autant que le chantier ne coûtera rien au contribuable.


Je relisais "O reine de douleur" écrit dans l'émotion de la nuit du 15 avril 2019 par Sylvain Tesson, un des meilleurs connaisseurs, arpenteur serait plus juste, des intérieurs de cette cathédrale qu'il vénère: Et si l'effondrement de la flèche était la suite logique de ce que nous faisons subir à l'histoire? L'oubli, le ricanement, la certitude de nous-même, l'emballement, l'hubris, le fétichisme de l'avenir... et, un jour, les cendres. Peut-être un peuple va-t-il se porter au chevet de sa reine? Peut-être va-t-il se souvenir qu'il n'est pas né hier? Mais peut-être rien ne changera-t-il et continuerons-nous à nous espionner les uns les autres, à nous haïr, à nous conspuer. Alors, on se dira que la flèche a bien fait de se retirer. (5)


Eh non, elle ne s'est pas retirée, et les tours-opérateurs peuvent déjà programmer leurs agendas de visite d'une capitale qui se fige de plus en plus dans une vision passéiste de carte postale, comme Venise, et organise sa momification à travers ses documents d'urbanisme municipaux. Certes l’État conserve ses prérogatives pour y imposer la construction de monuments contemporains. Pompidou et Mitterrand, Chirac ont bousculé en leur temps la bienpensance et la frilosité pour enrichir Paris. Depuis c'est objectivement le néant, et dans le cas d'espèce qui n'est pas une création ex nihilo, c'est la précipitation de la décision et l'absence de débat préalable qui sont regrettables.


La tour Eiffel (1889) n'a été acceptée qu'après un long processus d'habituation du public. Il faut se souvenir que les autorités avaient décidé son démontage anticipé, et que son utilisation par l'armée comme pylône de transmission par télégraphie sans fil dès 1898 l'avait définitivement sauvée.

La polémique sur la pyramide du Louvre s'est quasiment éteinte, idem pour le centre Pompidou.


On pouvait utilement réparer Notre-Dame pour sa réouverture, provisoirement, sans sa flèche, élément d'architecture religieuse moins absolu que le clocher.

La flèche apparaît au Moyen âge comme le symbole de la prière à Dieu, en résonance avec le sommet du christianisme. Saint Louis ramène en 1239 de Jérusalem les reliques de la passion du Christ qu’il dépose dans cette nouvelle cathédrale qui a peu à peu remplacé depuis le XII° siècle l'ancienne Saint Étienne édifiée au IV° siècle.


Cette flèche moyenâgeuse a été démantelée lors de la Révolution de 1789, pour en récupérer les 200 tonnes de plomb, utiles pour fabriquer des boulets d'artillerie.

La flèche moyenâgeuse était conséquente: Au point d’intersection des quatre branches de la croix existait autrefois une haute flèche qui fut seulement démolie en 1797, parce que, dit-on, elle menaçait ruine. Quant aux descriptions anciennes, elles sont, comme toutes celles relatives aux grands édifices de Paris, d’un laconisme incroyable. (6)

Cette flèche s'élevait déjà à plus de 80m du sol, et servait aussi de clocher.


(4) Rassemblé jeudi 30 novembre sur le parvis de Notre-Dame, un collectif d’associations et de syndicats – CGT Paris, Association Henri Pézerat, Association des familles victimes du saturnisme, Alliance écologique et sociale… – vient de demander la suspension du chantier, remettant en cause la « reconstruction de la toiture et de la flèche à l’identique, c’est-à-dire avec du plomb ».

(5) Sylvain Tesson, in NOTRE-DAME de PARIS "O reine de douleur" © Éditions des Équateurs mai 2019



Notre-Dame est restée sans flèche jusqu'au milieu du XIX° siècle. Étant agnostique, en tant qu'architecte j'aime beaucoup ce que révèle ce daguerréotype de la silhouette de Notre-Dame, débarrassée de son appendice dorsal.


Par Édouard Baldus — The Getty Center, objet 560s source:https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=66116070

Le concours pour sa restauration, lancé en 1842, est remporté en 1844 par Jean-Baptiste Lassus , 37 ans, et Eugène-Emmanuel Viollet-le-Duc , 30 ans. (7)

Leur proposition, après avoir dressé l'historique de Notre-Dame, est une restauration servile (8) dont j'extrais ce passage:

Loin de nous l'idée de compléter une œuvre aussi remarquablement belle, c'est là une prétention à laquelle nous avouons ne rien comprendre. Croit-on, par exemple, que ce monument gagnerait à la construction de deux flèches (...) au dessus des deux tours. Nous ne le pensons pas. Et même, en admettant une réussite complète, on obtiendrait peut-être par cette adjonction un monument remarquable, mais ce monument ne serait plus Notre-Dame de Paris.


Chez Lassus et Viollet-le-Duc, la courtisanerie le dispute à la fausse humilité, les défauts des stararchitectes d'aujourd'hui datent d'hier.


A la mort de Lassus en 1857, Viollet-le-Duc seul maître à bord du chantier termine le dessin de la nouvelle flèche qui se veut plus spectaculaire que l'ancienne, plus haute (96 m) et plus chargée (500 tonnes de bois recouverts de 250 tonnes de plomb, car il est moins cher qu'au moyen-âge et que l'ardoise est incommode), avec l'installation de statues des apôtres le long des noues, lui-même se représentant sous le déguisement de Saint Thomas, l'incrédule, que son hubris pourtant dément (9)...

Flèche centrale de N-D de Paris Crédit photo : ©Ville de Paris / BHVP

un retour vers le passé:

Une flèche filiforme et acérée sans les apôtres

Notre-Dame en 1595 d’après Hoffbauer avec sa flèche moyenâgeuse © https://eauterrefeuair.wordpress.com/2019/04/22/notre-dame-de-paris-a-travers-les-ages-en-images/

Manque-t-elle vraiment à l'architecture de ce vaisseau de pierre?

Notre-Dame en 1827 d’après Hamilton , sans sa flèche © https://eauterrefeuair.wordpress.com/2019/04/22/notre-dame-de-paris-a-travers-les-ages-en-images/


(8) à lire le rapport complet (47 pages "souvent mielleuses") de Viollet-le-Duc au ministre https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k104823k/f29.item#, sur le site de la BNF.

(9) source: https://numelyo.bm-lyon.fr/f_view/BML:BML_00GOO0100137001101406622#; p 445 et suivantes du dictionnaire raisonné de l'architecture française du XI° au XVI° s de Viollet-le-Duc.




Une année de perdue


Le 17 avril 2019 Édouard Philippe annonce (10):

"Avant le XIXe siècle, la cathédrale de Paris n'avait pas de flèche (sic!): c'est Viollet-le-Duc qui a choisi de construire cette flèche que nous avons vu s'écrouler dans la soirée de lundi dernier. le concours international permettra de trancher la question de savoir s'il faut reconstruire la flèche, s'il faut reconstruire la flèche qui avait été pensée par Viollet-le-Duc, à l'identique, ou s'il faut doter Notre-Dame d'une nouvelle flèche adaptée aux techniques et aux enjeux de notre époque. Les dons des particuliers qui souhaiteraient participer à la reconstruction de Notre-Dame bénéficieront d'une défiscalisation, 75% jusqu'à 1.000 euros et 66% au-delà".


De concours international, il n'en fut vite plus question, de nombreux architectes s'étant précipités pour prendre position sur la reconstruction ou non à l'identique, et d'autres ayant effrayé le public et les politiques en diffusant par voie de presse des projets débordant le cadre strict de cet éventuel concours en proposant un jardin suspendu, une toiture et/ou une flèche en verre, une charpente recouverte de vitraux, un toit-terrasse accessible au public, etc ...


Parallèlement à ce débat public, Macron met en place un établissement public pour la restauration de la cathédrale le 28 novembre 2019 dirigée par un général cinq étoiles, annonce le 9 juillet 2020 donner raison à ceux qui, derrière Anne Hidalgo et de nombreux parlementaires et historiens, s'opposent à un geste architectural contemporain, et approuve le projet présenté par l’architecte en chef Philippe Villeneuve qui prévoit de reconstruire la flèche à l’identique.(11)



Et la lumière fut


Emmanuel Caille dans son édito de d'A, mai 2019, écrivait Lorsque des personnalités politiques, avec l’aplomb des ignorants, veulent «reconstruire à l’identique», ils ne réalisent pas que, par une telle reconstitution, ils ôtent précisément toute valeur patrimoniale au monument. Ils ne comprennent pas que ce qui fait l’essence du patrimoine – et le distingue d’une relique –, c’est justement qu’il s’inscrit dans une histoire multiple et vivante.


En reprenant ce dossier aujourd'hui, en relisant Sylvain Tesson et cet édito d'Emmanuel Caille, je tente une synthèse. La flèche orgueilleuse de Viollet-le-Duc a ouvert dans sa chute le chœur de Notre-Dame à la lumière tombant du ciel.

Dans cette période où chacun redoute que la guerre des religions monothéistes au Moyen Orient débouche sur une guerre civile qui embraserait l’Occident chrétien- historiquement parlant- pourquoi reconstruire une flèche qui rebouchera cette ouverture de lumière.


La symbolique de lever les yeux au ciel est puissante dans la thématique chrétienne, c'est le lieu de présence de l’Être supérieur (vision anthropomorphique) et la localisation du paradis, mais c'est également celle du soleil, et cette symbolique-là est universelle.


Dans la civilisation égyptienne, Râ le dieu soleil transmet sa puissance au pharaon au travers d'un oculus (12).

Pour les Hébreux, le soleil n'a pas sa place dans le propos religieux mais il ne figure pas au nombre des idoles rejetées car il a sa place dans sa puissance et sa nécessaire présence pour la vie. Il s’intègre à la Création mais il n’est pas le Créateur. Cette position est partagée par la religion islamique, le Soleil (ash-Shams) est la quatre-vingt-onzième sourate du Coran.

Durant les siècles des empires grec et romain, le soleil est un dieu, et le culte presque universel du monde civilisé. Et beaucoup plus tard les occidentaux découvriront le même culte du soleil chez les Incas, les Mayas et les Aztèques.


Comme dans le panthéon de Rome, j'imagine ainsi une ouverture circulaire centrée au croisement de la nef centrale et du transept.


Le concours international serait ouvert à des artistes pour concevoir son design, celui de la lentille et celui des parois verticales du cylindre enchâssé dans la croisée des voûtes d'ogives. Ce serait de la bijouterie à grande échelle, représentative des savoirs-faire contemporains. Et j'insiste sur le côté universel et non connoté de ce dispositif architectural dans un lieu de recueillement qui demeure chrétien, et qui redonnerait à Notre-Dame son apparence de la première moitié du XIX°siècle vue de l'amont.


(11) Édouard Philippe dans son livre "des lieux qui disent" paru en septembre 2023 se désole de ce renoncement

(12) Deux fois par an, le 22 février et le 22 octobre, le soleil s'aligne avec l'entrée du temple égyptien d'Abou Simbel et vient caresser le visage de Ramsès II, à 60m au fond de l'édifice



Pour aller plus loin


Sur la relation Etat-Eglise


L'essentiel de la loi de 1905 est résumée ainsi sur le site officiel REPUBLIQUE FRANCAISE:

Bien qu'elle ne mentionne pas explicitement le terme, la loi de séparation des Églises et de l'État adoptée en 1905 est considérée comme le texte fondateur de la laïcité en France. Il en résulte : 

  • le respect de toutes les croyances ;

  • l'égalité de tous les citoyens devant la loi, sans distinction de religion ; 

  • la garantie du libre exercice des cultes ;

  • l'absence de culte officiel et de salariat du clergé. 

En mettant fin au régime du Concordat mis en place par Napoléon en 1802, la loi de 1905 acte la neutralité de l'État vis-à-vis de l'ensemble des religions. La puissance publique a pour mission de veiller à ce que les pratiques religieuses ne contreviennent pas à l'ordre public.


Dans le détail cependant, la mise en oeuvre de ce régime de séparation a connu plusieurs adaptations en raison du refus jusqu'en 1923 de l'église catholique de créer les associations cultuelles prévues initialement par la loi de 1905 pour la gestion des cultes. Le sujet important de la propriété des édifices a été résolu en 1907: tous les édifices catholiques existants en 1905 deviennent propriété publique et sont mis à la disposition des fidèles et des ministres du culte. Ceux construits après cette date sont la propriété des associations cultuelles ou diocésaines qui les ont construits.


Dans le cas de Notre-Dame de Paris classée en 1862 Monument Historique au cours de sa restauration (la flèche est achevée en 1859, mais le chantier complet se termine seulement en 1864), c'est l'Etat par le biais du Ministère des Cultes qui continue l'administration de cette cathédrale, étant devenue son propriétaire sous la Révolution Française de 1789, le concordat de 1801 ne changeant rien à cela.


Ce qui distingue Notre-Dame de tous les autres édifices religieux français, c'est sa situation au coeur historique de Paris et au plus près des lieux du pouvoir politique, et la liste des événements historiques qui y ont eu lieu (mariages royaux, sacre de Napoléon, Te Deum célébrant la fin de chaque guerre mondiale, obséques des présidents de la république, etc....).

Et plus encore (13) "En faisant entrer Notre-Dame de Paris dans le martyrologe, l’incendie de la semaine pascale de 2019 enrichit sa légende dorée d’un épisode essentiel et qui lui manquait jusque-là : l’épreuve de la souffrance dans laquelle se forge la sainteté ... Elle est la paroisse de la nation, l'incarnation majestueuse et familière de l'identité de la France".


A l'international, sur les plans symbolique et aussi architectural, une France laïque s'incarne ainsi dans une cathédrale, une France républicaine dans un château royal.



Sur l'architecture et la religion


Difficile quand on veut évoquer l'apport de la maîtrise de la lumière dans l'architecture d'une église de ne pas penser immédiatement à Le Corbusier. Mais avant son chef d'oeuvre atypique de Ronchamp, je veux parler de l'abbaye du Thoronet.


nef de l'abbaye cistercienne du Thoronet photo 2008 © D Maufras

abbaye cistercienne du Thoronet l'abside surbaissée permet de dégager un pignon de la nef et d'éclairer le choeur à travers une rosace photo 2008 © D Maufras

Ce chef d'oeuvre circestercien est la plus belle illustration que je connaisse de l'oculus de l'espérance que je souhaiterais au zénith du choeur de Notre-Dame pour ne pas oublier la souffrance subie en 2019 qui a failli la ruiner totalement.


Corbu l'a visité en 1953 sur la recommandation du Père Couturier, maître d'ouvrage du couvent de la Tourette achevé en 1956, et instigateur avec le chanoine Lucien Ledeur de la chapelle de Ronchamp dont la conception et la réalisation ne prirent étonnamment que cinq années de mai 1950 à juin 1955 (14). Dans ces deux oeuvres, et sans doute la troisième qui est l'église de Firminy construite après sa mort, terminée en 2007, Le Corbusier se révèle un génie de la mise en tension de l'ombre et de la lumière.


Le Corbusier n'était pas croyant (15), mais il avait la foi... en lui-même, c'est-à-dire dans son talent d'architecte à créer des "espaces ineffables dans lesquels des gens épatants étaient susceptibles de méditer et de ne pas parler superficiellement". (16)


photo de l'intérieur ©https://arquitecturaespectacular.blogspot.com/

Et à Ronchamp, en 1990, j'ai personnellement ressenti la même émotion que plus tard dans la nef du Thoronet en 2008, celle qui, le temps d'une méditation, fait se remémorer son éducation chrétienne, ses souvenirs d'enfant et les cérémonies religieuses "imposées", sa vie d'adulte et son rapport avec la fragilité de l'existence, l'indécidabilité qui fait esquiver certains choix à l'exception de sa mort inéluctable, et au terme de cette méditation ressortir de ces lieux à la lumière du jour, un peu groggy, et se dire à soi-même: JE NE SAIS PAS (17).



(13) Maryvonne de Saint Pulgent, ancienne directrice du patrimoine au ministère de la culture, dans son livre "La Gloire de Notre-Dame, La foi et le pouvoir", Gallimard, 448 p., paru le 7 décembre 2023.

(14) Pour Ronchamp et la Tourette, lire l'ouvrage le plus érudit sur Le Corbusier de Nicolas Fox Weber, paru en 2009 éditions Fayard, "C'était le Corbusier", pages 751 à 791.

(15) Ce propos est tenu dans une interview, dont l'archive est consultable sur le site de L'INA https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/cpf86607051/interview-de-le-corbusier-sur-couvent-dominicain-sainte-marie-de-la entre 9'50" et 10''20".

(16) dans l'ouvrage Le Corbusier - Zurich : Girsberger, 1965.- 1 vol (135p), (Les cahiers de la recherche patiente) p 7 Le Corbusier relate : dix jours avant l'inauguration, des journalistes et phorographes me mitraillaient de leurs flashes. J'ai dit aux ouvriers proches "si ces gens ne vident pas les lieux à la minute, prenez les par les épaules et ...." Un de ces types qui m'avait poursuivi dehors, devant l'autel du pélerinage, m'interpelle: "M. Le Corbusier, au nom du directeur du Chicago Tribune, répondez à cette question: pour bâtir cette chapelle, faut-il être catholique?" Je lui ai dit: "Foutez-moi le camp!"

(17) Ainsi se termine l'enquête - la plus accessible à la compréhension pour un non-érudit - d'Emmanuel Carrère sur les Evangiles et l'existence de Jésus-Christ. Le Royaume, Editions P.O.L. 2014


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