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Didier Maufras

Pour en finir avec le petit Paris, et réflexions sur l'architecture



Un canard sans tête


Le débat sur la gouvernance chaotique de la Métropole du Grand Paris (MGP) me fait penser à cette image mémorielle, traumatisante pour l'enfant que j'étais, du canard sans tête qui continue à s'agiter après sa décapitation, semblant courir dans toutes les directions jusqu'à l’épuisement d'une activité rythmique spontanée et autonome de la moelle épinière. Et jusqu'à sa mort.


Un ouvrage remarquable "Pour en finir avec le petit Paris" (1), regroupant seize contributions d'experts, géographes, historiens, philosophes, architectes ou urbanistes, responsables politiques, dresse le constat de ce chaos en l'expliquant essentiellement par cette tautologie : TOUT EST POLITIQUE ET NE SAURAIT ÊTRE RÉSOLU QUE PAR UN ENGAGEMENT POLITIQUE FORT.


Les auteurs retracent l'histoire de Paris depuis 1977, enfin administrée par un maire élu, et la création en 2016 de la Métropole du Grand Paris, sa genèse en 2008, et son fonctionnement depuis lors.


Impossible à résumer, il faut le lire, cela procure un vertige existentiel pour un citoyen curieux comme pour un architecte. Car, à la marge, des confrères ont participé à cette genèse depuis 2008, pour apporter leurs idées lors d'une consultation pluridisciplinaire internationale portant sur son périmètre et son organisation, études prolongées jusqu'en 2017 dans l'Atelier International du grand Paris.


De toute cette effervescence intellectuelle, il en reste aujourd'hui le plus tangible une ligne de métro en rocade de 75 km qui reliera d'ici 2031 11 Établissements Publics Territoriaux gravitant autour du douzième, la ville de Paris. La MGP est l'addition à Paris des Hauts de Seine, de la Seine Saint Denis et du Val de Marne.


De l'aveu même des auteurs, la situation actuelle n'a fait qu'épaissir le mille-feuille institutionnel de la région parisienne sans lui donner une tête pensante et directrice. Pire, alors que la Ville de Paris avec sa puissance administrative avait vocation à être motrice dans une gouvernance de ces quatre départements, elle s'en isole ostensiblement avec la prochaine mise en œuvre d'un PLU Bioclimatique qui, à mes yeux d'ancien pratiquant du POS puis des 55 versions du PLU, fige par ses outrances réglementaires (2) l'image d'une ville qui privilégie de plus en plus le caractère festif et ouvert au tourisme, à l'abri d'une fortification contemporaine qui s'appelle le boulevard périphérique.


Le canard du Grand paris n'a pas de tête, mais s'agite encore. La fin est connue, sauf à l'émergence d'une politique, forcément autoritaire car protégée des micro-enjeux sectoriels, qui lui en remettrait une sur ses ailes !


Et les architectes ne peuvent être au mieux que des spectateurs intéressés. Ils ne sont plus des acteurs importants et écoutés dans l'aménagement du territoire. Ma génération a connu la loi sur l'architecture (janvier 1977). Sa promulgation, compliquée (3), d'inspiration corporatiste, se drapait d'une démarche culturelle visant à sortir le pays du désastre esthétique de la politique des grands ensembles (4). Le ministère de l'équipement, devenu tutelle de la direction de l'architecture, est lui-même renommé ministère de l'environnement et du cadre de vie (5).

(4) À mes yeux, le compromis se résume à la qualification suivante : l'architecture est d'intérêt public, et non pas d'utilité publique, comme la médecine par exemple.

(5) Pour le détail de cet historique, lire https://www.persee.fr/doc/xxs_0294-1759_1997_num_53_1_3600


En 1995, 17 ans plus tard, l'architecture revient aux affaires culturelles, le nouveau ministère de la culture et de la communication, à la satisfaction des architectes libéraux et ceux du patrimoine.

Mais les urbanistes restent sous la tutelle des ministères qui ont succédé à feues les différentes appellations des ministères de l'équipement, du logement, des transports, et de l'aménagement du territoire des années 60-70 avant ce ministère de l'environnement et du cadre de vie de 1977. Les appellations, et les compétences, ont changé à chaque nouveau gouvernement jusqu'en 2007, mais chaque fois le logement et l'aménagement du territoire faisaient partie de leur compétence (6) .

(6) 18 gouvernements successifs et 18 appellations différentes de ces ministères à retrouver dans https://francearchives.gouv.fr/fr/authorityrecord/FRAN_NP_006651


Résultat à mes yeux, le logement qui avait été le grand sujet de recherche et de modernisation durant l'entre deux guerres, puis des Programmes Architecture Nouvelle durant ces deux décennies, n'est plus la priorité, et cela se ressent dans la production contemporaine. Pire, la priorité du ministère de la culture est aujourd'hui recentrée sur le patrimoine, ce qui n'est pas une erreur en soi, sauf quand cette politique devient discriminatoire et épouse cette tendance lourde du refus de la reconstruction. La rénovation n'offre pas les conditions d'innovation qu'autorise la construction neuve.


Un autre exemple de la perte d'influence des architectes, celui des problèmes d'adaptation au dérèglement climatique, dérèglement qui se traduit par des phénomènes météorologiques catastrophiques prouvant que sa cause principale est le réchauffement de l'atmosphère.


Qu'apporte trop souvent la rénovation d'un bâti d'après guerre ? Prioritairement, par la mise en place d'aides budgétaires substantielles, l'objectif d'isoler du froid le logement collectif en faisant l'impasse sur un audit préalable du bâti pour enquêter sur son fonctionnement thermodynamique vis-à-vis de ce réchauffement : c'est-à-dire agir sur les apports par les fenêtres et sur la qualité du renouvellement de l'air, de manière passive ou mécanique. Les ingénieurs m'objecteront que l'isolation par l'extérieur protège également des ardeurs du soleil, c'est exact, mais quand elle appliquée à des murs de façade déjà isolés par l'intérieur, c'est toute l'inertie thermique de la structure qui est annihilée. Il n'y a donc pas de solution miracle, seules des études de cas par cas peuvent résoudre le problème des passoires thermiques. Ces études seraient l'opportunité de faire appel à l'expertise architecturale. Jugées prohibitives en coût et difficiles en mise en œuvre par l’État, la solution trouvée pour la majorité des propriétaires concernés est la prime fiscale Rénov, qui offre l'avantage politique d'un affichage volontariste soit disant vertueux !


La réalité sous-jacente est que que ces passoires thermiques, qui dépendent largement de leur année de construction et aussi du détournement d'usage de lieux inadaptés à l'origine à l'habitat par une population nouvelle (je pense aux chambres de bonnes des immeubles haussmanniens, voire aux appentis de fonds de cour, reconvertis pour en faire des lofts), n'étaient pas un sujet politique tant que les tarifs de l'électricité en France étaient supportables pour la majorité de la population. La globalisation de ces tarifs à l'échelle européenne, pour différentes raisons qui ne sont pas toujours corrélées aux coûts de production en France, a abouti à un doublement des prix de vente de cette énergie décarbonée et aux conséquences décrites ci-avant.

Une conséquence positive est que l'appel à un comportement de sobriété énergétique a été très largement entendu par la population qui a réduit sa consommation, au point qu'EDF après deux hivers "noirs" annonce aujourd'hui un excédent de production pour cet hiver. Cela démontre une fois de plus que l'usage et le comportement des usagers sont bien plus efficients au regard de l'adaptation des villes au climat que bien d'autres facteurs.


Lors d'un colloque à l’École des Ingénieurs de la Ville de Paris le 14 mars 2023, Vincent Viguié, chercheur en économie du climat à l’École des Ponts, montrait un graphique illustrant que dans les scénarios de neutralité carbone à l'horizon 2050 pour Paris, les gains de consommation énergétique du bâti procédant du comportement des habitants et des usagers tertiaires étaient deux fois et demi plus importants que l'apport combiné de l'isolation par l'extérieur des façades et de l'utilisation de matériaux réfléchissants pour les toitures.


Évidemment ces gains peuvent s'additionner. Mais les deux sont eux-mêmes par nature hypothétiques.


Le premier parce que techniquement ils ne sont que la continuation de solutions apparues il y a plus de quarante ans dans le bâtiment, sans aucune certitude qu'elles pourront s'adapter à un environnement par nature imprévisible, et s'appliquant très majoritairement à des structures existantes. Il n'y a plus de rupture technologique par l'innovation, faute de recherches universitaires selon cet axe.


Au contraire on attribue des vertus cardinales aux matériaux biosourcés et géosourcés pour la construction en site urbain alors que toute leur histoire appartient à la ruralité, à la seule exception du bois de charpente et de la pierre. Vouloir les imposer réglementairement (RE 2020) à toute la construction neuve (très minoritaire) c'est éteindre toute prospective dans l'art de construire, et nier par contre-coup l’extraordinaire inventivité offerte par l'utilisation de l'acier et ses facultés d'adaptation dans la restructuration ou de recyclage, vérifiées sur plus de cent cinquante ans d'histoire de l'architecture.


Le second parce qu'il est versatile, dans la mesure ou la rapidité d'adaptation à une crise implique souvent un retour à de mauvaises manières une fois celle-ci balayée par l'actualité relayant d'autres crises. En outre les efforts consentis peuvent être abandonnés quand des informations comme celle diffusée aujourd'hui sont rendues publiques (7) :

L’intelligence artificielle (IA) s’est immiscée dans de très nombreux secteurs : médical, numérique, bâtiments, mobilité… Définie comme la « capacité d’un ordinateur à automatiser une tâche qui nécessiterait normalement le discernement humain », l’intelligence artificielle a un coût : son déploiement massif engendre des besoins croissants en énergie. Les tâches informatiques nécessaires à la mise en œuvre de l’IA requièrent l’usage de terminaux utilisateurs (ordinateurs, téléphones, etc.) et surtout de centres de données. On en recense actuellement plus de 8 000 à travers le monde, dont 33 % se situent aux États-Unis, 16 % en Europe et près de 10 % en Chine d’après l’Agence internationale de l’énergie (AIE). Les centres de données, les cryptomonnaies et l’intelligence artificielle représentent presque 2 % de la consommation électrique mondiale en 2022, soit une consommation électrique de 460 TWh. En comparaison, la consommation électrique française s’est élevée à 445 TWh en 2023.


(7) Une tribune publiée le 13/11/024 sur cet excellent site https://www.polytechnique-insights.com


La perception punitive de la démarche écologique de l'action publique, agitée comme un mantra, s'alimente à l'aune de ces comparaisons.


Didier Maufras

novembre 2024


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